Africa Dev News est un média panafricain d'informations, d'analyses, d'investigations et de publicités, avec un focus sur le Bénin où il est basé.
Il y a trois mois, son envie d’aller très vite dans la nomination de ministres-conseillers était perceptible. À peine l’année 2024 a démarré que le 9 janvier, par décret, le chef de l’État béninois, Patrice Talon, officialise la création d’un collège des ministres-conseillers, placé sous son autorité, à la Présidence de la République (Article 1er). Et suivant ce décret Nº2024-006 qui fixe aussi les attributions, l’organisation et le fonctionnement dudit collège, « le ministre-conseiller a pour mission de contribuer d’une part, à la définition de la politique du gouvernement et, d’autre part, au suivi de la mise en œuvre du Programme d’actions et des initiatives du gouvernement » (Article 3). Dans cette droite ligne, le décret ajoute entre autres que le ministre-conseiller « participe à l’élaboration des politiques sectorielles, contribue à la préparation des discours politiques dans lesquels il fait valoir les idées, les options et les opinions du gouvernement, de manière à informer la population et à lui expliquer certaines prises de position du gouvernement.» Collaborateur du chef de l’État (Article 4), le ministre-conseiller assure également le suivi sur le terrain, de l’exécution des décisions et directives du chef de l’État et le traitement des dossiers soumis au cabinet du chef de l’État. À travers un autre décret numéro 2024-007 toujours du 9 janvier 2024, Patrice Talon va au-delà des tâches assignées et définit les secteurs d’intervention ou de compétences des ministres-conseillers à la présidence de la République du Bénin. On peut en dénombrer douze (12) même si le président de la République pourrait en nommer plus suivant les besoins. Il s’agit entre autres, du ministre-conseiller aux affaires économiques, du ministre-conseiller à l’enseignement technique et à la formation professionnelle en passant par le ministre-conseiller aux enseignements maternel, primaire et secondaire, le ministre-conseiller à l’enseignement supérieur et à la recherche scientifique, et le ministre-conseiller aux affaires sociales et au travail.
Talon plus explicite
Mais le chef de l’État s’est voulu on ne peut plus explicite sur la question. À la conférence de presse au Palais de la Marina, le 12 février, il s’est étendu sur le pourquoi il a bien voulu, à seulement deux ans de la fin de ses deux mandats constitutionnels, étoffer l’équipe de collaborateurs autour de lui. « Vous l’avez tous entendu que j’ai proposé au Conseil des ministres qui l’a adopté, de créer un collège des ministres-conseillers. Depuis mon premier mandat et durant ce second-ci, vous avez dû constater que parfois, nous faisons appel à des compétences non politiques pour conduire l’action du gouvernement. (…) Donc, nous avons besoin que les politiques qui sont doublés de casquettes techniques ou pas, puissent conduire l’action gouvernementale, de l’Exécutif avec ceux qui ont des compétences mais qui n’ont pas le chapeau politique. Et c’est bien pour cela qu’il y a eu quelques frustrations depuis ces deux mandats qui sont en cours parce qu’il y a des fonctions qui ont été confiées à des gens qui n’ont pas du tout de chapeau politique, alors que ce ne sont pas eux qui ont œuvré à conquérir le pouvoir. Ce ne sont pas eux qui répondent devant l’opinion. Donc, quelqu’un met en œuvre une stratégie sans avoir le devoir de reddition de comptes devant le peuple », a diagnostiqué Patrice Talon. Il poursuit : « Dans la tâche, je le vois bien. Moi, parfois, je n’arrive pas, je n’ai pas le temps de m’occuper des questions politiques. Et des fois, cela me cause des préjudices ». Face au diagnostic posé, le président de la République de proposer sa thérapie : « J’ai toujours pensé qu’il faut qu’on trouve un moyen de compenser un peu cela. C’est cela qui a été décidé récemment où nous avons dit qu’au-delà de l’action de certains ministres, même qui sont politiques, qui ont la tête dans le guidon au quotidien, qui sont tellement submergés, que parfois, ils n’ont pas le recul qu’il faut pour apprécier leur propre action par rapport aux attentes des populations, par rapport à la vision ou par rapport même à l’avenir. Donc, ce serait bien que les ministres soient doublés de personnalités de compétence, mais ayant un chapeau politique, des gens qui n’ont pas la tête dans le guidon et qui ont une vision plus holistique, plus globale, ont une profondeur plus accrue que celui qui a la tête dans le guidon, pour accompagner, corriger et définir même avec celui-ci, ce qu’il faut faire ». En référence à l’article 4 du décret N°2024-006 du 9 janvier 2024, le ministre- conseiller est nommé par décret du président de la République sur proposition des partis politiques membres de la majorité à l’Assemblée nationale ou qui soutiennent l’action du gouvernement. Trois mois après la prise des décrets par le président Talon, l’on s’interroge sur ce qui freine ou ce qui a dû freiner l’élan de ce projet. Il n’est point besoin de montrer combien il tient à cœur au chantre de la Rupture, lui qui veut soigner les bords et se faire accepter plus par ses soutiens politiques dans la perspective de 2026. Il y a quelques semaines, certains observateurs et analystes pourraient supputer sur le fait que Patrice Talon veut d’abord connaître l’issue de la Révision de la Constitution ou du vote au Parlement du Code électoral avant de valider une quelconque liste de »Ministrables Conseillers » que les partis politiques concernés lui auraient soumise. Mais ces deux faits sont désormais du passé, et les soutiens, même ceux qui à l’Hémicycle affichaient apparemment un air de résistants au départ, ont fini par rentrer dans les rangs en contribuant à servir le calice à boire jusqu’à la lie. N’étant plus possible de lier la non traduction en acte des décrets à un temps d’observation des acteurs pressentis, pourrait-on alors croire que si ça dure ainsi, c’est la preuve évidente que les partis politiques n’ont pas encore fait de propositions de noms au chef de l’État ? Mais comment est-ce possible quand on sait que c’est ce pain béni que ces formations politiques recherchaient depuis ? Elles qui, à travers des ronronnements dans de petits cercles voulaient de remaniement ministériel. Cette piste aussi paraissant improbable, il est plausible que ce soit, in fine, la Cour constitutionnelle qui doit situer le chef de l’État et les partis politiques ; s’ils doivent foncer ou tenir compte de probables directives qu’elle aura données en vue d’un réajustement éventuel du projet.
Pourquoi la Cour constitutionnelle
Ce qui est important de rappeler dans ce débat est que dès la divulgation des décrets régissant le collège des ministres-conseillers, un groupe de jeunes juristes béninois et le parti politique de l’opposition, Les Démocrates ont attaqué devant la Cour constitutionnelle certaines dispositions desdits documents notamment l’article 4 du décret N°2024-006 du 9 janvier 2024 qu’ils jugent contraire à la Constitution et à la Charte africaine des droits de l’homme. Eu égard à ces recours, le président Patrice Talon et ses partis soutiens attendent-ils que la Haute juridiction vide le contentieux pour ne pas avoir à rapporter une décision de nomination du collège des ministres-conseillers au cas où le verdict leur serait défavorable ? Tout porte à le croire, sans être affirmatif. Les prochains jours voire semaines nous édifiéront.
Jacques BOCO