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Courant mi-mars 2016, à l’hôtel Azalaï à Cotonou, l’histoire politique du Bénin prend une nouvelle tournure. Alors qu’on était à quelques jours seulement du 20 mars, date du second tour de la Présidentielle au Bénin, 24 candidats sur les 33 du premier tour se rallient à Patrice Talon sorti 2ème (24,73%) face à Lionel Zinsou, candidat du pouvoir, en tête. Ils forment un bloc dénommé « La Coalition de la Rupture », sans lequel l’opérateur économique ne serait peut-être pas élu président de la République.
Outre l’ancien magnat de la volaille, Sébastien Germain Ajavon arrivé 3ème (22,96%), Abdoulaye Bio Tchané (8,79%) et Pascal Irénée Koupaki (5,85%) respectivement 4ème et 5ème, cette alliance politique pour faire gagner l’opérateur économique Patrice Talon, était également composée de Natondé Aké, Gabriel Laurex Ajavon, Atao Hinnouho, Issa Badarou-Soulé, Saliou Youssao Aboudou, Simon-Pierre Adovèlandé, Nassirou Bako-Arifari, Karimou Chabi Sika, Azizou El-Hadj Issa, Zakari Cyriaque Goudali, Bertin Koovi, Moudjaïdou Soumanou, Richard Sènou, Marie-Élise Gbèdo, Daniel Edah, Robert Gbian, Jean Alexandre Hountondji, Issifou Kogui N’douro, Salifou Issa, Christian Lagnidé, Alain Marcel de Souza, Abdoulaye Bio Tchané. Pour atteindre son objectif, le groupe des 24 candidats malheureux du premier tour de l’élection présidentielle, auquel s’est donc ajouté Patrice Talon, a établi un accord de partenariat. Il y est écrit entre autres que chacun d’eux va faire campagne pour le second tour, dans son fief, aux côtés du candidat de la Rupture, et ce dernier, une fois élu n’aura qu’à faire un seul et unique mandat de cinq (5) ans conformément à son propre engagement et thème de campagne. De plus, le candidat Talon, en disgrâce avec le pouvoir finissant de l’ex-président Yayi Boni, n’aura pas à se venger au nom d’une quelconque lutte contre la corruption, et une fois dans le fauteuil, il ne doit pas non plus réclamer le paiement des dommages et intérêts évalués à plusieurs dizaines de milliards de FCfa (129M), gagnés suite à des décisions de justice dans des affaires l’ayant opposé à l’État béninois. Du premier au second quinquennat, s’il est vrai que beaucoup s’intéressent plus à ce que sont devenues ces clauses dont la durée de vie était normalement de cinq ans, si elles ont été respectées à la lettre ou non, si elles ont été révisées ou non à échéance, et si oui, par quels acteurs cette fois-ci, là n’est pas l’objet du présent papier. À chacun de se faire son opinion.
Que deviennent les 24 alliés de 2016 ayant soutenu Patrice Talon ?

L’objet ici, ce sont les acteurs à l’origine de ce contrat qui a permis, qu’on le veuille ou non à Patrice Talon de tirer son épingle du jeu. Évidemment, le cheval sur lequel les 24 alliés d’alors ont misé, a effectivement gagné la course et a été installé dans le fauteuil présidentiel, avec la ferveur populaire, succédant ainsi, et contre toute attente, à son ancien ami devenu ennemi, Yayi Boni. Cinq ans plus tard (2021), il se tape un second mandat de cinq ans au vu et au su de ce qu’il convient d’appeler d’anciennes figures de la Coalition de la Rupture, qui ont géré avec lui tout le premier quinquennat. Et ces figures en question sont toujours dans la barque dont l’accostage est dans moins de 18 mois (2026). Il s’agit de Abdoulaye Bio Tchané fait, dès le premier gouvernement, ministre d’Etat en charge du développement et de la coordination de l’action gouvernementale ; Pascal Irénée Koupaki, lui aussi ministre d’Etat, Secrétaire général de la Présidence de la République ; Simon Pierre Adovèlandé et Moudjaïdou Soumanou respectivement Ambassadeur du Bénin en Chine et au Koweït ; Karimou Chabi Sika promu à la tête de la Communauté électrique du Bénin (Ceb) à Lomé ; Natondé Aké, Nassirou Bako-Arifari, Robert Gbian, Salifou Issa, tous députés reconduits à l’Assemblée nationale et membres des partis soutenant le pouvoir.
Critique vis-à-vis du pouvoir au départ, Bertin Koovi lassé de vivre en exil, va retourner au bercail courant le second quinquennat, et ce, malgré le mandat d’arrêt international émis contre lui en 2019 dans le dossier « incitation à la haine et à la violence ». Il bénéficia soudainement d’une ordonnance de non-lieu de la justice béninoise. Devenu militant du parti Bloc Républicain, il soutient désormais Patrice Talon même s’il n’est nommé nulle part. Du moins, pour le moment.
Jusqu’à leur mort respectivement en juillet 2019 et juillet 2020, Marcel de Souza et Richard Sènou n’avaient rien obtenu officiellement non plus comme portefeuille. Inconnu du grand monde, Zakari Cyriaque Goudali a agi comme un éclair à cette Présidentielle de 2016. Il a surgi et disparu après les deux tours. Depuis lors, plus des nouvelles de l’acteur portuaire. Dans la même veine, il ne serait pas exagéré d’établir une similitude de cas avec Christian Lagnidé, Issa Badarou Soulé, Issifou Kogui N’douro, Marie-Élise Gbèdo et Azizou El-Hadj Issa. Sauf que ces dernières personnalités citées, avant de se retrouver dans les starting-blocks pour le scrutin présidentiel, étaient plus connues pour avoir été au-devant de la scène, pendant des années, en tant que ministres de la République. En plus, qui dit Christian Enock Lagnidé et Issa Badarou-Soulé, dit LC2 (première télé privée au Bénin) et Radio Wèkè (radio privée béninoise) ; des chaînes qui avaient révolutionné l’espace médiatique au Bénin. Nul n’ignore non plus l’activisme de l’avocate Marie-Élise Gbèdo pour la cause féminine notamment le respect des droits de la femme, même si depuis au moins huit ans, elle ne fait plus parler d’elle. En tout cas, pour ce que l’on a pu observer de l’après accord d’Azalaï hôtel, Christian Lagnidé, Issa Badarou Soulé, Kogui N’douro, Marie-Élise Gbèdo, Azizou El-Hadj Issa n’ont pas été à des responsabilités au nom du pouvoir de la Rupture. Ils sont, on peut le dire, restés effacés, loin des affaires politiques du pays. Mais il convient de souligner qu’entre-temps, par décret pris le 29 mars 2017, le chantre de la Rupture a déchargé Christian Enock Lagnidé de son poste de conseiller spécial du chef de l’Etat et délégué commercial de la République du Bénin pour l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique, fonction qu’il occupait depuis octobre 2000 sous le président Mathieu Kérékou. Le motif avancé par le président Talon : « carence de collaboration » entre Lagnidé et lui. La décision a pris effet à partir du 6 avril 2016, date de prise de service du chef de l’État béninois. Et pour ce qu’on sait de l’ancien directeur général des eaux et forêts, ancien directeur du parc W, ancien député et ancien ministre Azizou El-Hadj Issa, il s’est plutôt consacré à la recherche scientifique. La preuve en est que le 21 avril 2022, il a soutenu, avec brio, son Phd à l’Université d’Abomey-Calavi sur la gouvernance des aires protégées. Au risque de se tromper, c’était sa première apparition publique après les événements politiques de 2016.
Intéressons nous à présent à Sébastien Ajavon, Atao Hinnouho, Saliou Youssao Aboudou, Jean Alexandre Hountondji.

Leur dénominateur commun, ils ont tous eu des ennuis judiciaires dans diverses affaires. Et, en dehors de l’homme d’affaires Sébastien Ajavon, deuxième au premier tour de la Présidentielle, qui s’est exilé en France depuis 2017 où il obtient le statut de réfugié politique, tout le reste a fait la prison. Mais il faut noter qu’avant de tomber en disgrâce avec son ex-partenaire politique, et d’être condamné le 18 octobre 2018, à 20 ans de prison avec un mandat d’arrêt international lancé contre lui par la justice béninoise, pour trafic de cocaïne découverte dans ses marchandises au Port de Cotonou, le richissime et ancien président du patronat au Bénin, a partagé le pouvoir d’État avec lui. Il avait fait nommer au départ quelques ministres au gouvernement même si selon les indiscrétions, il avait estimé insuffisant le nombre, et mieux Patrice Talon n’aurait pas respecté les engagements spécifiquement entre les deux. Les ministres proAjavon ont été virés après du gouvernement.
Alors député au Parlement, Mohamed Atao Hinnouho et son parti politique « Reso Atao » prennent leurs distances vis-à-vis de la Rupture quelques mois seulement après l’investiture de Patrice Talon. L’ancien élu de la 15ème Circonscription électorale va se montrer très critique envers la majorité parlementaire et le gouvernement à travers ses différentes déclarations publiques et ses prises de position à l’Assemblée nationale. Le clou de cette série, le parlementaire et homme d’affaires fera partie des députés qui ont fait échec au projet de révision de la Constitution initié en avril 2017 par le gouvernement Talon. Il a simplement voté contre. Dans la foulée, le gouvernement engage une lutte implacable contre les faux médicaments ou les médicaments de contrebande. Mohamed Atao Hinnouho sera identifié comme étant un acteur majeur de ce trafic de faux médicaments, qui approvisionne le marché Adjégounlè, un marché-pharmacie à ciel ouvert dans le grand marché Dantokpa à Cotonou. Une plainte de la Douane sera également déposée contre lui pour fraudes douanières. Le jeune député prendra la clé des champs. Mais il se résoudra à se livrer à la justice béninoise après quelques semaines de cavale. Entre- temps, fin 2017, ses entrepôts ont été perquisitionnés par la Police et des centaines de cartons de produits pharmaceutiques ont été saisis. Arrêté et placé en détention en mai 2018, le plus jeune candidat à la Présidentielle de 2016 verra son immunité parlementaire levée le 24 juillet 2018. Dans cette affaire, Atao va comparaître devant la justice pour importation de marchandises prohibées, exercice illégal en pharmacie, rébellion, violences et voie de fait. Le verdict sera salé ce 6 novembre 2018. Mohamed Atao Hinnouho qui a plaidé non-coupable, écope de 6 ans de prison ferme et d’une amende d’un milliard de Francs Cfa ainsi que des dommages et intérêts de 2 milliards de FCfa. Le conseil de l’ancien représentant pharmaceutique au Bénin d’un laboratoire indien parle d’« un procès politique ». Son client importerait de manière légale les produits pharmaceutiques soupçonnés de faux, et disposerait de tous les documents administratifs. En janvier 2019, pour raison sanitaire alors qu’il avait été admis aux urgences du Centre national hospitalier universitaire Hubert Koutoukou Maga de Cotonou pour des soins, suite à un malaise en prison, Atao Hinnouho qui serait désormais en fauteuil roulant, va bénéficier d’une autorisation du tribunal de Cotonou pour une évacuation sanitaire en France. Entre 2020 et 2021, depuis l’hexagone, Mohamed Atao Hinnouho dont la formation politique « Reso Atao » a fini par rejoindre la majorité présidentielle, invitait ses militants à soutenir le pouvoir de Patrice Talon. Coup de tonnerre, jeudi 27 juillet 2023, après quatre années passées en France, l’ancien parlementaire signe son retour en grande pompe à Cotonou, suivi d’un géant meeting sur le terrain de Midombo à Akpakpa. Et sans avoir fini de purger sa peine, et sans une décision de justice exhibée préalablement et publiquement, le président du défunt « Reso Atao » regagne tranquillement son domicile. Depuis lors, il est libre de tout mouvement et multiplie d’ailleurs des sorties de prières médiatisées, dans des mosquées et églises de sa circonscription électorale.
Dans l’Affaire rétro-commissions suite à un placement de fonds de la Cnss
à la Banque Bibe dont le principal accusé est le célèbre syndicaliste communiste et critique du pouvoir, Laurent Mètongnon, l’administrateur des finances, ancien directeur général adjoint du Budget, ancien député et candidat malheureux à la Présidentielle de 2016, Saliou Youssao Aboudou, l’un des coaccusés va être également condamné en 2017 à 5 ans de prison. En novembre 2022, il recouvre sa liberté ainsi que les autres.

L’ancien ministre Jean Alexandre Hountondji sera, lui, incarcéré le 8 avril 2021, au même moment que d’autres voix critiques, dans le cadre des violences ayant émaillé la Présidentielle du 11 avril dans certaines localités du Bénin. Poursuivi pour des infractions présumées de participation à des faits d’actes de terrorisme, il verra son mandat de dépôt levé le 27 octobre 2021. Alexandre Hountondji est certes libre de ses mouvements. Mais il reste placé sous contrôle judiciaire avec les autres mis en cause.
Gabriel Laurex Ajavon, Daniel Edah
Que ça soit Gabriel Laurex Ajavon ou Daniel Edah, ce n’est pas non plus du « je t’aime, moi non plus » avec le gouvernement Talon. Aucun geste de rapprochement entre le pouvoir et l’un ou l’autre n’a été noté depuis 2016. D’ailleurs, le leader du mouvement « Nous le ferons », Daniel Edah fait partie du Cadre de concertation de l’opposition récemment constitué. Quant à Gabriel Ajavon, frère aîné de Sébastien Ajavon, il est souvent resté hors du pays. Opérateur économique, dans l’une de ses critiques contre le régime, il se voyait en tout cas faire mieux en matière de gestion du Bénin que l’actuel président Patrice Talon. Selon plusieurs médias locaux, qui avaient rapporté l’information, Gabriel Laurex Ajavon, dans une affaire privée, serait en prison depuis 2023 du côté de Lomé. Les autorités togolaises se seraient même opposées à son extradition vers le Bénin.
Somme toute…
De cette Coalition de la Rupture formée à l’époque par d’anciens ministres, en grande majorité ayant servi sous Yayi, il se dégage que certains des bâtisseurs continuent de récolter et de jouir de ses fruits murs, même au-delà de l’échéance, premier quinquennat. D’autres, par contre ne sont pas au festin, autour de la même table que le champion ou même loin, depuis bientôt une décennie. Au nombre de ces derniers, on a ceux qui ont adopté la politique d’observateurs silencieux, loin des micros, caméras et des réseaux sociaux ; pendant que les observateurs critiques qui n’ont pas eu leur langue dans leur poche s’y sont frottés et diversement piqués. Fortunes diverses donc pour les différents alliés d’hier formant ce regroupement politique. Mais en réalité, faudrait-il pas chercher à comprendre, en amont, sur quelle base reposait cet accord ainsi que ses coulisses ? On gagne ensemble et on gère ensemble ? On gagne ensemble et je vous donne ce que je veux, pas forcément un poste nominatif ? On gagne ensemble mais vous me laissez le temps de voir qui j’appelle prioritairement et en fonction de la proximité et/ou du poids politique de l’allié ? Ou bien on gagne ensemble mais je ne dois plus rien à certains qui peut-être sans moi ne pourraient se donner cette étoffe de candidat à la Présidentielle ? Ou bien encore, on a certes gagné ensemble mais en dépit de ton offre, il ne me plaît plus de bosser avec toi parce que je ne me retrouve pas dans ce mode de gouvernance? Bref, autant de conjectures que certains analystes de la chose politique mettraient sur la table dans l’interprétation des tendances observées dans la phase post-signature du pacte d’Azalaï scellé en mars 2016 à Cotonou. Et pour les moins raffinés, qui jouent droit au but, les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient.
ADN